Démultiplier l’impact de ses investissements dans le digital
L’économie digitale pourrait générer 3000 milliards de dollars de revenus supplémentaires dans le monde d’ici à 2022 (source : « Digital disruption : the growth multiplier », étude menée par Accenture Strategy et Oxford Economics, janvier 2016). Et pourtant, les entreprises affirment que la moitié de leurs investissements digitaux sont perdus ou inefficaces… Comment combler le décalage entre ce potentiel extraordinaire et cette perception ? En ciblant mieux les investissements en fonction de leur effet démultiplicateur sur la croissance.
La transformation digitale de l’économie mondiale est certes en marche mais elle manque encore de maturité : il existe ainsi de fortes opportunités de croissance pour les secteurs traditionnels, qui en sont encore à l’aube de leur transformation. Mais où et comment investir pour tirer parti de ces opportunités ? L’étude d’Accenture Strategy, menée en collaboration avec Oxford Economics et présentée au Forum de Davos en cette fin janvier, délivre trois messages qui ont l’ambition d’éclairer cette problématique.
1- Il s’agit d’une mutation d’une ampleur insoupçonnée
L’économie digitale prend rapidement une dimension que nul n’aurait pu anticiper. Elle représente désormais 22,5 % de l’économie mondiale alors que son potentiel de création de valeur est loin d’avoir été complètement exploité. D’ici à 2020, la part de l’économie digitale dans le produit intérieur brut devrait croître de 2,1 % dans la plupart des pays développés. En France, cette part représente déjà 26 % du PIB (contre 25 % en Allemagne et 33 % aux Etats-Unis).
Cependant, l’innovation, même exponentielle, n’a pas un impact instantané sur l’économie d’un pays. En France, les quelques brillantes réussites d’entreprises dites digital native (vente-privee.com, BlaBlaCar, Criteo…) n’ont pas transformé l’économie de notre pays ni son rapport à la croissance. Aujourd’hui, les entreprises traditionnelles ont, à leur tour, l’ambition de devenir digitales : L’Oréal investit fortement dans le marketing digital, le président d’Engie affirme que « le futur est digital », Publicis achète des acteurs experts du secteur (comme le groupe américain Sapient, spécialisé dans le marketing et la communication numériques, en novembre 2014)…
Bien sûr, certains secteurs sont plus touchés et/ou avancés que d’autres. Les services financiers ou les médias, par exemple, sont à la pointe. D’autres, en revanche, semblent encore peu concernés par le digital, comme les utilities (les entreprises d’utilité publique). Pourtant, l’un des principaux axes d’investissement de ce secteur est le déploiement des compteurs électriques intelligents comme Linky, Nest – en France, 35 millions de compteurs devraient ainsi être remplacés d’ici à 2021- avec un retour sur investissement qui dépendra des nouvelles pratiques digitales. Le secteur automobile, de son côté, se focalise sur les services d’aide à la mobilité à partir de plateformes numériques, mais aussi sur l’économie du partage et l’économie circulaire (qui vise à réduire l’empreinte écologique).
A terme, tous les secteurs seront donc concernés par le digital. C’est pourquoi les chefs d’entreprise comme les dirigeants politiques devraient le voir comme un levier de croissance.
2- Le « rattrapage » digital est un véritable levier de croissance
La taille d’une économie et l’importance de la pénétration digitale ne garantissent pas automatiquement une croissance économique supplémentaire. Inversement – c’est le cas de la France – le fait d’être relativement en retard dans le développement digital peut être une opportunité car la promesse de gains devient plus intéressante : le rattrapage s’ajoute alors à la nouvelle croissance.
Mais il ne suffit pas d’accumuler technologies et compétences digitales pour créer de la croissance : aujourd’hui, l’avance ou le retard de la pénétration digitale (appelée « densité digitale ») dépend d’un juste équilibre entre trois leviers que sont les technologies, les talents et les accélérateurs.
– Les technologies incluent la connectivité mobile et la pénétration d’Internet chez les acteurs économiques.
– Les talents correspondent aux nouveaux métiers issus des technologies digitales ainsi qu’à la digitalisation des métiers plus traditionnels.
– Les accélérateurs sont externes à l’entreprise – réglementation favorable, facilité d’accès aux financements… – ou internes à celle-ci – basculement dans le cloud, déploiement d’incubateurs, de formations adaptées, de partenariats et d’alliances…
Il est nécessaire de hiérarchiser les investissements digitaux pour démultiplier leur impact, au niveau d’un pays comme d’une entreprise. Le choix des investissements à venir exige une réflexion approfondie et pertinente sur les outils, les moyens et les ressources à privilégier : technologies, talents et accélérateurs.
3- Pour gagner en efficacité, il faut d’abord trouver la combinaison adéquate
Prenons l’exemple du Japon et de la Corée, qui ont surinvesti dans les technologies mais qui n’ont pas encore formé suffisamment de talents pour en tirer parti ; leur multiplicateur de croissance indique qu’ils doivent investir majoritairement dans ces talents, tout en maintenant un excellent niveau technologique.
La France est en retard par rapport à l’Allemagne, la Hollande ou le Japon en matière d’investissement privé et public en technologies. Elle a de bons savoir-faire mais doit former des spécialistes de l’analyse des données et renforcer ses expertises en termes d’économie collaborative. Sa réglementation du travail et l’accès aux financements restent trop contraignants pour exploiter tout le potentiel de croissance du digital.
Bien sûr, il n’existe pas d’algorithmes d’optimisation des investissements digitaux pour les entreprises, chacune devant construire son modèle en fonction de son environnement, de son secteur d’activité et de sa culture : quelle est la combinaison de technologies, de talents et d’accélérateurs la plus pertinente pour telle entreprise ou tel secteur ? Comment et où investir ?
L’entreprise est d’abord contrainte par l’infrastructure de son environnement géographique pour hiérarchiser ses investissements digitaux. Prenons l’exemple d’une banque digitale ou mobile qui se développe à l’international : si l’infrastructure digitale du pays où elle veut investir est favorable et la pénétration de la banque digitale y est faible, c’est un environnement idéal pour déployer un meilleur concept que celui proposé par la concurrence ; a contrario, si l’environnement est très digital et si de grands acteurs sont déjà présents, il sera alors difficile de prendre des parts de marché. La stratégie de déploiement d’Amazon montre comment l’on peut adapter un tel format hybride – numérique et physique – à de très nombreux marchés, en hiérarchisant selon la taille des marchés, la présence des talents requis et l’infrastructure adéquate.
L’expérience montre aussi qu’il existe un réel décalage entre les opportunités très attractives des nouveaux business models exponentiels – les fameuses licornes – et leur capacité à générer de la richesse et de l’emploi. BlaBlacar est un succès mais représente une fraction très faible du marché des transports. Quel est l’impact de Facebook sur l’économie mondiale, en dehors de la Silicon Valley ?Modeste évidemment, mais la valeur issue ou libérée par les technologies digitales ne vient pas exclusivement des pure player. Elle se dissémine à travers tous les acteurs économiques soit par effet de concurrence (Uber), par contagion (distribution multi-canal), par souci de productivité (la digitalisation des métiers telle que la fonction finances – nano-robots comptables, outils décisionnels…) et/ou par la transformation des business models (économie circulaire).
En répartissant efficacement leurs investissements digitaux entre technologies, talents et accélérateurs internes ou externes, entreprises et gouvernements seront en mesure d’exploiter au mieux l’effet multiplicateur du digital sur la croissance.
Source : Harvard Business Review